Je travaillais au 42ème étage de la Midtown Tower à Tokyo quand le tremblement de terre du 11 Mars 2011 est survenu. Magnitude 9 sur Sendai, 6 sur la capitale. Je me rappelle essayé d’avoir dansé et de continuer à boire mon café, mais c’était simplement pour cacher mon angoisse. Il faut être honnête, j’ai cru que c’était la fin. J’ai pris les bouteilles d’eaux dans les armoires, que la plupart des gens ont semblé complètement oublier (par contre une allemande n’a pas hésité à m’en prendre une des mains sans me remercier un peu plus tard, foutu étranger !).
Ensuite, descente du 42ème étage. Pas terrible, aucune fluidité, probablement à cause des 2 incendies qui se sont déclarés (un à mon étage et un au 1er). Bref, une heure bloqué dans les escaliers de secours, pendant que le building continue de trembler et de swinger. Ambiance sympathique de laquelle je garde un excellent souvenir 😉 2h plus tard, une petite bière dans une échoppe non loin du travail, histoire de se relaxer. Mais après ça, ce fut une alternance de bons moments et de craintes insupportables sur de nombreux jours…
AFTER THE QUAKE
Tout le monde sait ce qui s’est ensuivi dans la région de Sendai, une véritable catastrophe. Vu de Tokyo, ce sont les centrales de Fukushima qui sont devenu réellement inquiétantes, sentiment qui est parti crescendo avec les heures qui s’écoulent. La presse étrangère qui s’excite, les ambassades qui conseillent de se tirer aussi vite que possible, et bien-sûr les étrangers en panique; d’un autre côté, des Japonais calme, voir même ignorant quasiment totalement la situation. Difficile de réagir correctement.
Suivant les explosions aux centrales, j’ai lâchement fui dans le Sud du Japon, d’abord à Nagoya, et poussant ensuite dans la soirée pour Hiroshima. J’en ai profité pour visiter le musée « de la paix », qui a le fabuleux pouvoir de vous redorer le moral en quelques minutes (non, je déconne !).
Sur seulement 2 jours, les news se sont encore dégradés avec des centrales à bout + de nouvelles explosions. Pression de la famille, des amis. Situation ingérable moralement, seul un exit pur et simple était envisageable. Ma destination fut Hong-Kong, et j’y suis resté du Mercredi au Lundi 21 Mars. Ces jours relaxants passés avec des amis m’ont bien aidé ! Balades, bons restos… et bien-sûr entre, des moments de stress, de culpabilité, une bonne soupe d’émotions. Du rab’ !
Mais il me fallait revenir à Tokyo, car simplement… c’est là que ma vie se trouve. Je me sentais quand-même bien seul et coupé de tout avec seul mon petit sac vide sur le dos (je suis parti sans rien, bien-sûr, une vrai fuite). Depuis, sur Tokyo, ce sont quelques petits rares tremblements (rien de bien méchant), les centrales nucléaires vont un peu mieux. Plusieurs petites craintes cela-dit:
- la situation aux centrales n’est toujours pas claire. Les Japonais sur places ne s’avancent pas sur la situation, et un ouvrier à Fukushima a dit: « ce qui doit arriver arrivera » (double traduction, alors ne la prenez pas à la lettre). Rassurant ? Ce n’est pas la presse étrangère cette fois, mais quelqu’un sur place.
- les centrales vont prendre beaucoup de temps à se refroidir. On n’est pas à l’abris d’un pépin, voit d’un autre désastre dans la même région qui laissera des centrales lâcher de la radioactivité dans tous les sens sans possibilité d’y toucher.
- un gros tremblement de terre sur Tokyo ! Vous savez, celui qu’on attends et qui n’est jamais arrivé ? Son échéance a été soit écourtée, soit rallongée. Bref, on peut penser ce qui nous arrange.
- Tokyo sera engorgée et quasi-impossible à fuir en cas de souci (on a vu l’impact des autoroutes coupés seulement, sans fuite, tout était bloqué déjà !).
- dans les années à venir (euh, les mois, même les jours ?), les conséquences sont inconnues, la bouffe, ce qui la contient, ce qui la balade, la flotte (qui est la base de tout et utilisé pour tout) il y aura forcément un tas de contaminations légères au fur et à mesure. Effets à long terme ?
Je vous ai fait peur ? Toutes mes excuses 😉 La vérité, c’est que probablement le pire est passé.
Incidences psychologiques
- je ne suis plus à l’aise dans les bâtiments en hauteur. Difficulté pour évacuer au besoin, et surtout un sentiment d’insécurité; ce n’est pas forcément pragmatique de penser comme ça, mais c’est un sentiment malheureusement incontrôlable.
- plus vraiment à l’aise dans mon appartement adoré avec vue sur la baie de Tokyo (sur une île artificielle, séparée du reste par des ponts). Évacuation difficile également (mais moins qu’au boulot, car moins de monde). Déménagement ?
- je me sens très en sécurité dans les cafés au rez de chaussé, même si il y a des tremblements. On peut me parler de tsunamis… ça me passe au dessus de la tête ! En tout cas, en étant à Tokyo. Du coup, je suis avec mon laptop, et j’essaie de re-commencer à bosser en sirotant un thé. Elle est pas belle la vie ?
Je me suis toujours senti fort psychologiquement, jamais de pression ou stress liés aux exams, au travail, ou autre. Mais pour la première fois j’ai eu un choc, un vrai. Le fait de n’avoir aucun contrôle sur la situation m’a fait perdre les pédales. D’où maintenant ma peur des étages élevés, et je suis bien servis là ou je suis (entre mon appartement au 27ème et mon boulot au 42ème). Je pense que ces effets psychologiques sont un vrais problèmes, et il me tarde de voir ce genre de répercutions sur les autres étrangers et les Japonais.
Déceptions
- sur Twitter, les gens réagissent bien-sûr très rapidement, mais sans contrôle d’eux-mêmes et de l’information, et lâchent facilement des phrases extrêmement inquiétantes, à un rythme effréné. Plus besoin de boissons énergisantes, branches ton Twitter !
- les articles scientifiques postés un peu partout, à la limite du compréhensible par le commun des mortels, qui effraient plus qu’autre chose, non pas par leur conclusion, mais par des explications trop érudites qui font ressortir une réalité complexe et… de ce fait, effrayante.
- les gens qui balancent des articles trop positifs et rassurants, signés par des scientifiques solitaires planqués en Europe ou aux Etats-Unis. Les scientifiques en question ne sont pas sur place bien-sûr, ils ne prennent pas en compte les facteurs moraux et ne connaissent pas la réalité (car personne ne la connait, non !?). Ce qu’on veut, c’est la vérité vrai, connaître les avancements réels, et ensuite, à chacun le droit de réagir comme il l’entends. Ces mecs nous disent « restez sur place, c’est sans risque », mais je suis sûr que je peux trouver assez de gens pour réunir des sous et leur payer un billet d’avion pour visiter Tokyo et même un petit onsen à Fukushima.
- le manque de transparence de TEPCO, et aussi leur réaction tardive, 2 jours après le tsunami. Ils ont voulu sauver la centrale avant le reste. C’est le Japon, alors le taff et notre Entreprise avant tout ! Ne !
Satisfactions
- les réactions de ma famille et de mes amis (surtout ceux du Sud de la France, car ceux vivant dans le Nord, une bonne partie s’en est foutu royalement ! Allez, paf, encore un blame pour les Parisiens, désolé, mais ça ressort trop pour laisser passer ça ni vu ni connu !). J’ai reçu des messages vraiment réconfortants, agréables, même si pourtant je ne suis pas celui qui en ait besoin le plus.
- les Japonais ont continué à vivre normalement. Même à Tokyo, où les supermarchés se sont vidés, ou on pouvait sentir un fond amer de panique. Grâce à eux, j’ai pu prendre le train, et avoir une place assise. En France, le pays entier aurait été bloqué, et les gens se seraient plaint pour ça. Evidemment, je suis encore un étranger qui profite de la bonté et du calme des locaux 🙂
- le gouvernement Japonais, qui a su maintenir le calme et gérer au mieux la situation.
Des liens sympas
Ça, c’est pour ceux qui aiment flipper, ou tenter de se rassurer.
- http://www.japanquakemap.com/ : les derniers tremblements de terre sur le Japon, carte animée
- http://jciv.iidj.net/map/ : carte sur les radiations, mises à jour toutes les 5 minutes
Alors rassuré ? Non ? Allez, si !
Pour finir…
La situation va probablement s’améliorer. Il n’y a pas encore de nouvelles totalement positives, mais de moins en moins de négatives. Sur les prochains jours, il faut espérer que les news se feront plus rassurantes, mais les problèmes de toute façon s’allongeront sur quelques mois (sans compter sur la crise économique qui risque s’en suivre, et c’est les mecs dans les abris qui vont trinquer, mais no worries, pas de risques pour tous les traders français qui se sont tirés ! Les mecs, restez encore au chaud, vous avez de la tune et vous pouvez vous le permettre). Allez, ça va aller, et un peu de compassion pour tous ces sans-abris au Nord et pour les mecs qui s’irradient pour sauver TEPCO de la honte le Japon. Moi, je vais aller me chercher un vélo qui roule bien, faire le plein de flotte, probablement changer d’appartement, et essayer de reprendre le train-train quotidien. Comme… visiter quelques ruines ? Faire des photos ? Bosser avec mon petit thé vert au café du coin ? Ouais, ce genre de choses ! Gambarimashoo ! Et venez me visiter au Japon ! Il n’y a vraiment aucun risque de passer quelques jours à Tokyo et de faire ensuite une petite tournée vers Kyoto et ses environs. La saison des sakuras est bientôt là ! 🙂 Mangez pas trop d’épinard quand-même, on sait jamais, haha 😀